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La Chine, ou le salut amoureux de l’ancien directeur du FMI

La Chine, ou le salut amoureux de l’ancien directeur du FMI


Qui aurait cru qu’un ex-directeur du Fond Monétaire International, aux méthodes de séduction plus qu’agressives, deviendrait l’incarnation du romantisme à la française pour un cinquième de la population mondiale. En Chine, l’image de Dominique Strauss Kahn est à des lieux de celle relayée dans les médias occidentaux. Ses frasques de coureur, plus que pardonnées, sont admirées par une population masculine, traditionnellement timide dans ses rapports avec les femmes. Ce véritable phénomène de société est né à la rencontre de plusieurs facteurs démographiques, économiques et sociétaux.

Les raisons du phénomène DSK

La société chinoise est en effet encore très fortement influencée par la tradition confucianiste, jamais remise en cause par le communisme, qui veut que toute relation, amoureuse ou simplement charnelle, implique un mariage à court terme. Mais, dans un pays où l’on compte six hommes pour cinq femmes (voir cette étude de l’Institut National d’Etudes Démographiques), conséquence des politiques de contrôle des naissances créées dans les années soixante-dix, ce mariage indispensable n’est plus assuré. La frange célibataire et masculine de la population, notamment citadine, s’affranchit alors peu à peu du modèle ancestral. Jadis entièrement tournée vers l’obtention d’un statut marital, la séduction à la chinoise devient plus libérée, plus insouciante. Doutant de pouvoir un jour faire partie des heureux élus au mariage, les jeunes célibataires chinois rêvent de pouvoir « butiner de fleur en fleur », mais cela leur est interdit par cette même inégalité démographique des sexes. C’est dans ce contexte que les prouesses amoureuses d’un français, d’un puissant de ce monde – dans toutes les dimensions que le mot « puissance » recouvre – est devenu un idéal pour la jeunesse masculine.
A cette évolution des codes sociaux, se superpose l’explosion de la consommation de masse qui engendre depuis plusieurs années, au-delà de la modernisation économique, un bouleversement des rapports amoureux. Les jeunes célibataires chinois remettent en question l’importance de leur relation avec les femmes et à l’affluence des objets répond, dans la sphère sentimentale, un irrésistible désir de collection des chairs. Le jeune chinois veut devenir consommateur, et il s’y applique tant en affaires qu’en amour (lire à ce sujet cet article très instructif du New York Times).

DSK plus sexy que Brad Pitt ?

Mais pourquoi DSK, et non l’un des innombrables sex-symbols et coureurs de jupons, que produisent en masse les industries du cinéma et de la mode ? Car ce personnage public accomplit le curieux syncrétisme chinois d’une influence traditionnelle profonde et d’une jeune soif de modernité.
Tout d’abord, au contraire d’un Georges Clooney ou d’un Brad Pitt, DSK est loin d’être svelte. Son embonpoint l’identifie à l’image traditionnelle chinoise de l’homme riche, fort, prospère dans ses affaires et jouisseur dans ses conquêtes. En Chine, dans des temps encore récents, et comme dans la plupart des pays en voie de développement, la finesse du corps était associée à un état d’indigence, matérielle comme sentimentale. Certes, l’imposition de la finesse comme critère de beauté, martelée à grand coups répétés par Hollywood et la publicité occidentale, pénètre efficacement la société chinoise par le bas de sa pyramide démographique. Mais les générations d’hommes célibataires de plus de 35 ans, nés avant les années soixante-dix et ayant donc vécu leur adolescence avant le début de l’ère libérale, sont encore sensibles à cette représentation de la masculinité triomphante.

L’humour par delà les barrières culturelles

Cependant, c’est par les plus jeunes que le choix s’est porté sur notre DSK national. La jeunesse chinoise, par une meilleure connaissance des technologies de communication, a appris à s’affranchir d’une censure d’Etat qui étendait son contrôle bien au-delà de la sphère politique, jusque dans les mœurs. L’usage des réseaux privés virtuels, ou RPV, permettant de contourner le filtre du politiquement correct tel que défini par le parti, a ouvert aux jeunes chinois les portes de l’Internet (voir l’article consacré à ce sujet par Bloomberg). Friands d’humour et de caricatures, mais ne pouvant dénigrer leurs autorités, ils se tournent naturellement vers les innombrables programmes satiriques occidentaux. Toutefois, la barrière culturelle entre l’humour chinois, fin et contenu, et l’humour occidental, notamment américain, jouant sur le vulgaire et le décalage, leur interdit de s’identifier pleinement à nombre de comiques et caricaturistes. Quant au langage corporel des one-man shows, très expansif, il n’est pas facilement compris par une population qui, il n’y a pas si longtemps, ne connaissait que la gestuelle très cadrée du théâtre chinois. En revanche, dû à la longue tradition populaire des théâtres d’ombres et des spectacles de marionnettes, les chinois sont très réceptifs à l’utilisation des marionnettes satiriques. C’est ce qui explique leur intérêt tout particulier pour ce type de programmes, assez rares et dont la France s’est faite une spécialité. Ainsi, les Guignols de l’Info, via youtube et les réseaux sociaux, captent courant 2012 l’attention de quelques jeunes surfeurs chinois, qui vont relayer en Chine des sketchs de l’émission. Et qui était la star des Guignols à cette époque ? Un homme politique, favori pour la présidentielle en France, qui venait de faire son apparition comme personnage récurrent, accoutré d’un peignoir léopard.

Des conséquences inattendues

Le succès de l’émission et de la marionnette, ainsi que la renommé de l’ancien directeur du FMI, sont immédiat, mais encore en sourdine. Circulants entre jeunes, en secret parmi d’autres programmes plus subversifs, les copies de l’émission sont visionnées par un nombre croissant de chinois. Puis, comprenant qu’après tout, ce brave coureur ne remet pas en question l’autorité du parti, ces adolescents font sortir la marionnette de la clandestinité, et Dominique Strauss-Kahn devient l’icône d’un romantisme conquérant et irrévérencieux.
Quant aux retombées économiques, elles sont aussi surprenantes qu’inattendues. Depuis longtemps mise en avant par des marques de luxes, telles Cartier, le tissu aspect léopard connait un « revival » sans précédent. Relayée par des blogueurs influents, comme Meijia S, cette mode connaît un franc succès. Zalora Hong-Kong, plateforme web spécialisée dans la mode, a ainsi multiplié par deux le nombre d’articles Léopard au sein de son catalogue depuis l’année dernière. Et même hors de Chine, certaines entreprises commencent à surfer sur la vague. LePeignoir.fr, site français de vente en ligne spécialisé dans les peignoirs, a ainsi fait le pari d’introduire au sein de son offre un peignoir Léopard, attribut indissociable de la marionnette. Bon lui en a pris car, selon son fondateur, Thomas Leprince, ces peignoirs représentent désormais plus de 50% des ventes de la société. Encore plus impressionnant, il en aurait vendu plus d’un millier pendant les fêtes de fin d’année. Lorsqu’on lui demande s’il pense que les Français vont tous se convertir au peignoir léopard, il me répond que rien n’est moins sûr. Mais dans toute cette frénésie, nous nous accordons sur le fait que, même retiré de la politique, DSK n’a pas fini ne nous surprendre !

Emmanuel Moncet

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